décembre 21, 2016 · Non classé

La presse fait de plus en plus souvent état des progrès de la coalition et des forces russes contre l’État Islamique sur le front syro-irakien. Quand bien même le GEI n’a pas encore été vaincu, dans quelle mesure sa disparition pourrait mettre en lumière d’autres conflits, encore latents aujourd’hui ? Quels en sont précisément les enjeux ? Il est évident qu’en cas de victoire définitive sur l’État Islamique – ce qui, soit dit en passant, est loin d’être fait –, certaines coalitions actuellement en vigueur ne pourront plus fonctionner. En Syrie par exemple, la coalition arabo-kurde (qui présente des résultats plus que corrects sur le front) ne peut espérer tenir qu’en raison de l’existence d’un ennemi commun. Les nationalistes arabes syriens n’ont jamais accepté l’indépendance déclarée du Rojava, l’État kurde autoproclamé dans le nord. D’autant plus que les Kurdes ont également empiété sur leurs propres territoires, ceux des arabophones, des Turkmènes ou d’autres. Ces tensions sont vouées à resurgir. En Irak, le problème est similaire : les Kurdes et les chiites se sont alliés pour faire face à l’État Islamique, mais si celui-ci venait à en être défait, une Mossoul reconquise constituerait une grave pierre d’achoppement, presque insoluble. Nous sommes en pleine définition de la géopolitique : des rivalités de pouvoirs sur des territoires, et il y a plusieurs prétendants-rivaux ou futurs ennemis en dehors de Daesh, tant en Syrie qu’en Irak. Mossoul serait alors au cœur des revendications. Les Arabes comme les Kurdes (sans même parler des rivalités entre Arabes chiites et sunnites) ne seraient pas du tout d’accord sur la question de l’appartenance de la ville. Les Kurdes estiment que, historiquement, Mossoul est kurde et qu’elle doit leur revenir, même si elle a été arabisée au cours des décennies. En plus, cette région est extrêmement riche en pétrole et c’est la plus grande ville du Nord, non loin de la Turquie et de la Syrie. Le premier qui investira la ville la prendra et il se retrouvera nécessairement en conflit avec ceux qui ne la contrôleront pas, ou moins, s’il n’y a pas de négociations avec les Chiites du pouvoir central, l’Iran et les forces sunnites. Par conséquent, les tensions resurgiront de manière certaine, inévitable, dès lors que l’État Islamique aura été vaincu, car aujourd’hui on ne constate pas d’entente et d’accords d’agendas entre sunnites arabes, chiites arabes, Kurdes sunnites ou hétérodoxes, Turkmènes chiites, chrétiens, Yézidis, Shabbaks, etc. Rien n’est hélas plus loin que le nationalisme irakien unitaire qui a trop longtemps été dominé par les Arabes sunnites et persécuté les Kurdes et les Chiites revanchards… Les enjeux de tels conflits sont multiples. Religieux, territoriaux, certes, mais également économiques et pétroliers. Mossoul constitue une zone pétrolière extrêmement importante et elle sera aussi ardemment disputée pour cela. En parallèle, Mossoul fut assyro-chaldéenne, arabe, kurde, turco-ottomane, et elle donc disputée par des ethnies différentes et mêmes par différents Etats car la Turquie n’a jamais digéré sa perte et son armée ne laissera pas les Kurdes s’en emparer (elle est aujourd’hui une enclave arabophone entre deux régions kurdophones) de même que les Arabes chiites ou sunnites irakiens qui ne pourront l’accepter sans être vaincus militairement. Il y a donc clairement un enjeu à la fois linguistique, territorial, géopolitique, économique et bien entendu religieux. L’Irak est, en effet, divisé en plusieurs zones. Dans le sud du pays, on constate une imbrication d’Arabes chiites et sunnites, tandis que dans le nord, l’imbrication est composée d’arabes sunnites, de kurdes sunnites ou yézidis, de Turkmènes, de chrétiens, etc. Les territoires ne sont donc pas cloisonnés, on trouve même des communautés persophones dans le centre et le sud-est du pays. Sans oublier les Mandéens, les Shabbaks, etc. Ainsi, même en avançant une solution fédérale pour l’Irak, il sera très complexe de dire quelle zone tombera sous le contrôle de quelle ethnie ou de quel groupe, du fait de ces mélanges qui se sont faits au fil des siècles, et du fait que ce sont les rapports de force sur le terrain qui en décideront lorsque Chiites pro-iraniens et gouvernementaux, sunnites arabes et Kurdes (trois forces majeures) en découdront. Les récents affrontements entre chiites turkmènes et Kurdes dans la localité de Touz Khormatou ne sont hélas probablement qu’un avant-goût de la situation en Irak, qui ne se calmera pas avec la victoire sur Daesh et qui n’était pas calme non plus avant. Je ne peux m’empêcher de penser que le dernier mot, comme souvent dans des situations comparables, reviendra au plus fort. Ceux qui auront obtenu les meilleurs résultats sur le terrain pourront revendiquer leurs victoires et c’est, à mon sens, ce que cherchent les Kurdes irakiens bien qu’ils avancent plus prudemment que leurs frères-rivaux du Rojava syrien dont l’agenda et l’idéologie PKK diffère beaucoup. Bien que les leaders kurdes s’en défendent et annoncent des négociations avec les sunnites arabes et chiites de Bagdad, une victoire historique ne serait ni plus ni moins qu’une revanche sur 1920 (Traité de Sèvres) lorsque, à la suite de la défaite de l’Empire Ottoman, leur avait été promis un État indépendant sur les territoires de la Syrie, de l’Irak et de la Turquie actuelle mais qu’ils n’ont jamais eu car Atätürk et ses homologues arabes n’en ont pas voulu et parce que les puissances occidentales n’ont pas voulu se battre pour appliquer ce traité pourtant avalisé par la Société des Nations. Mais il est certain que si les rapports de force le permettent et si leurs partenaires arabes ne leur donnent pas des concessions et avantages dans le cadre d’un Irak futur très décentralisé, ils ne rateront pas cette occasion si elle se présente et si elle n’a pas d’alternative.

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