juin 14, 2023 · Non classé · (No comments)

L’Afrique du Sud est un pays qui connaît un niveau très élevé de violence sexiste. Pendant la campagne internationale annuelle des Nations unies « 16 jours d’activisme contre la violence sexiste », la couverture médiatique de la violence à l’égard des femmes et des enfants augmente dans le pays. Aussi bien intentionnée soit-elle, des études ont mis en évidence plusieurs lacunes dans la couverture, notant qu’elles nuisent à l’objectif de la campagne.

Cette question est importante en raison de l’importance des organes d’information dans notre monde saturé de médias. Les recherches sur les facteurs qui façonnent les opinions sur les crimes violents et le système de justice pénale montrent que les opinions de la plupart des gens ne sont pas fondées sur des rencontres personnelles avec le système. Au contraire, les points de vue se forment principalement en voyant, en lisant ou en écoutant des sources secondaires telles que les médias d’information grand public. Antoine Garapon, juriste français et ancien juge, affirme que

Pour des millions de personnes, la télévision est devenue … la principale, pour ne pas dire l’unique, source d’information, de culture et de divertissement … et donc, pour beaucoup, le seul contact qu’ils ont avec le droit.

L’un des aspects que j’étudie dans ma thèse de doctorat concerne les reportages sur les crimes violents commis par des hommes à l’encontre de femmes et le rôle que joue le journalisme dans la formation de notre perception de ces types de crimes.

Afin d’inciter les médias à faire partie de la solution et non du problème, il convient de réfléchir ici à certaines des nombreuses lacunes dans les reportages, en particulier pendant la période des 16 jours d’activisme.

Le problème des médias

Les recherches de l’éducatrice sud-africaine Thabisile Buthelezi montrent que les articles publiés dans les journaux sud-africains en langue zouloue pendant les 16 journées d’action tendent à priver les victimes de leur pouvoir en perpétuant les stéréotypes liés au genre.

Une étude menée par les observateurs des médias Gemma Harries et William Bird sur plus de 36 reportages de la radio, de la télévision et de la presse écrite sud-africaines pendant les 16 journées d’action conclut que les organes d’information n’accordent pas suffisamment d’espace aux survivants pour qu’ils puissent raconter leur propre histoire.

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Mon étude examine comment les reportages télévisés perpétuent la honte des victimes et le sensationnalisme, aggravant souvent le problème. Deux études de cas servent d’exemples.

Cas 1 : Honte aux victimes

Les journaux télévisés sud-africains ont tendance à utiliser un langage qui suggère que les victimes de violence sont en quelque sorte responsables de ce qui leur est arrivé. Par exemple, dans un reportage diffusé sur SABC 3 le 1er décembre 2021, deux familles ont raconté leur expérience après le viol présumé de leurs filles adolescentes. Voici un extrait du témoignage du père de l’une des jeunes filles :

Je ne sais pas ce qui s’est passé parce que nous avons essayé de protéger notre enfant en l’empêchant d’errer dans les rues la nuit ou d’aller dans les tavernes … mais un étranger est venu de nulle part pour essayer de détruire l’avenir de notre enfant.

Cette phrase illustre une approche couramment employée, à savoir la honte de la victime. Les crimes contre les femmes sont considérés à la lumière de ce que la femme a fait, plutôt que de ce qui lui a été fait.

Dans ce cas, le père n’est probablement pas conscient de ce qu’il suggère. Pourtant, comme le montre l’expérience de son enfant et la plupart des autres cas rapportés au cours de cette période, ce n’est pas l’endroit où les femmes se rendent qui détermine leur vulnérabilité au viol.

Les reportages mettent en lumière des incidents comme celui-ci en se basant sur les valeurs de nouveauté et d’actualité (comme le fait qu’il s’agisse de 16 jours d’activisme). Mais ces expériences sont courantes.

Les médias les mettent en évidence parce que, selon l’opinion populaire, le viol de « bonnes filles » sur le chemin de l’école devrait être une anomalie. Le viol de femmes qui sortent la nuit et se trouvent dans des tavernes ne devrait pas l’être. En fait, la question n’est pas de savoir où vont les femmes, mais de savoir si la société permet aux hommes de violer les femmes.

Cas 2 : le sensationnalisme

Les journaux télévisés ont tendance à se concentrer sur les cas les plus exceptionnels. En 2020, un cas a été diffusé en tant que sujet principal de la journée dans les principaux bulletins d’information télévisés. Sur la chaîne publique SABC, l’introduction d’un présentateur de journal télévisé était la suivante :

C’est le deuxième jour de la campagne annuelle « 16 jours sans violence contre les femmes et les enfants ». Mais malgré les projecteurs braqués sur ces crimes, une femme de 42 ans de la province du Cap-Oriental et ses cinq enfants ont été tués à l’arme blanche, dont un bébé de six mois. La police pense que son petit ami peut faire la lumière sur ces meurtres brutaux.

L’accent mis sur la nature macabre du crime est une combinaison de deux éléments liés. Tout d’abord, les valeurs de l’information donnent la priorité aux incidents jugés inhabituels : le meurtre à la hache de six personnes, dont un bébé. En outre, il a été mentionné que certaines des personnes tuées étaient les enfants biologiques de l’auteur présumé. Les reportages suggèrent qu’il est inhabituel pour un homme d’agir de la sorte. En réalité, en 2020, selon les Nations unies, 47 000 femmes et filles dans le monde ont été tuées par des partenaires intimes ou des membres de leur famille. Un nombre considérable d’entre elles ont été tuées en Afrique du Sud.

Les reportages sur la violence à l’encontre des femmes et des enfants ont tendance à utiliser un langage qui met en avant les aspects les plus horribles, la valeur choc. Le téléspectateur se concentre ainsi sur la nature odieuse du crime plutôt que sur les problèmes qui en sont à l’origine.